Blague sexiste et licenciement

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Blague sexiste et licenciement : équilibre entre liberté d’expression et lutte contre les violences faites aux femmes

La liberté d’expression fait-elle obstacle au licenciement d’un salarié lorsque les propos qui lui sont reprochés sont présentés comme une plaisanterie ? Plus précisément, les blagues sexistes d’un salarié peuvent-elles constituer une faute pouvant justifier son licenciement ?

Réponse de la Cour de cassation : Oui, mais dans des conditions particulières.

Dans sa décision du 20 avril 2022, la Cour de cassation considère que le licenciement du salarié fondé sur la violation d’une clause de son contrat de travail, et sur les circonstances entourant des propos sexistes réitérés reflétant une banalisation des violences faîtes aux femmes, ne porte pas une atteinte excessive à sa liberté d’expression (Cass. soc., 20 avril 2022, n°20-10.852).

Sauf abus, la liberté d’expression du salarié est protégée.

A condition qu’il n’y ait aucun abus, la liberté d’expression du salarié dans l’entreprise (et en dehors de celle-ci) est protégée.

La protection de la liberté d’expression doit s’articuler avec l’article L. 1121-1 du code du travail selon lequel : « nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché. »

Au regard de cette protection, tout licenciement prononcé par l’employeur pour un motif lié à l’exercice non abusif par le salarié de sa liberté d’expression est nul (Cass. soc., 16 février 2022, n° 19-17.871). Les juges doivent donc contrôler si les propos tenus par le salarié ont excédé les limites de la liberté d’expression et s’il n’existe pas une autre sanction plus appropriée.

L’usage abusif de la liberté d’expression peut constituer une faute justifiant un licenciement.

Selon la jurisprudence, l’abus constitue généralement une cause réelle et sérieuse de licenciement.

Ainsi, des propos injurieux ou excessifs rendus publics auprès de la clientèle, voire dans la presse, et susceptibles d’avoir une répercussion sur l’entreprise, peuvent justifier un licenciement pour faute grave (Cass. soc., 29 septembre 2010, n°09-42.057).

La gravité des propos est notamment appréciée au regard du contexte et des engagements contractuels.

Pour caractériser, l’abus de l’exercice de la liberté d’expression, les juges se fondent sur la teneur des propos, le contexte dans lequel ils ont été tenus et la publicité qu’en a fait le salarié (Cass. soc., 6 mai 2015, n° 14-10.781).

En l’espèce, plusieurs éléments ont été pris en compte pour apprécier la gravité de la blague :

1- Le contexte social : les propos ont été tenus en plein mouvement #MeToo, #BalanceTonPorc, et quelques jours après la journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes durant laquelle le président de la République a annoncé des mesures de lutte contre les violences sexistes et sexuelles  ;

2- La publicité des propos : les propos tenus par l’animateur ont été diffusés « en direct et à une heure de grande écoute, dans des circonstances ne permettant pas à leur auteur de s’en distancier pour tenter d’en atténuer la portée, malgré des précautions oratoires qui traduisaient la conscience qu’il avait de dépasser alors les limites acceptables » ;

3- Le comportement du salarié : quelques jours après son émission, l’animateur a réitéré et a adopté un comportement déplacé à l’égard d’une candidate en lui posant plusieurs questions sur la fréquence de ses relations sexuelles ;

4- La violation d’une clause du contrat : les propos ont été tenus en violation d’une clause du contrat de travail du salarié visant à lutter contre les discriminations à raison du sexe et les violences domestiques. L’animateur s’était engagé « à respecter l’ensemble des dispositions du cahier des missions et des charges de France 2 et de la Charte des antennes de France Télévisions et notamment « le respect des droits de la personne », comme constituant « une des caractéristiques majeures de l’esprit devant animer les programmes des chaînes publiques de télévision » tandis que la clause figurant à l’article 4.2 du contrat précisait que « toute atteinte à ce principe, qu’elle se manifeste à l’antenne ou sur d’autres médias, constituerait une faute grave permettant à Sony Pictures Télévision Production, dès que celle-ci en serait informée, de rompre immédiatement le contrat ». La Charte prévoyait aussi « le refus de toute complaisance à l’égard des propos risquant d’exposer une personne ou un groupe de personnes à la haine ou au mépris, notamment pour des motifs fondés sur le sexe, et le refus de toute valorisation de la violence et plus particulièrement des formes perverses qu’elle peut prendre telles que le sexisme et l’atteinte à la dignité humaine ».

Au regard de ces éléments, les juges ont conclu à la légitimité du licenciement pour faute grave du salarié. Ils ont considéré que le licenciement, fondé sur la violation d’une clause du contrat de travail poursuivait un but légitime de lutte contre les discriminations à raison du sexe et les violences domestiques et celui de la protection de la réputation et des droits de l’employeur. Ils ont ensuite précisé que compte tenu de l’impact potentiel des propos réitérés du salarié, reflétant une banalisation des violences à l’égard des femmes, sur les intérêts commerciaux de l’employeur, ce licenciement n’est pas disproportionné et ne porte donc pas une atteinte excessive à la liberté d’expression du salarié.

Toutefois, cette décision ne doit pas être interprétée comme une restriction à la liberté d’expression et du droit à l’humour d’un salarié. En effet, le communiqué de presse de la Cour de cassation a été très clair à ce sujet : « La Cour de cassation ne juge pas qu’un humoriste n’a pas le droit de faire une telle “blague” à la télévision. »

Cette solution n’est d’ailleurs pas transposable à tous les cas de figure et démontre bien la difficulté d’appréciation du caractère nécessaire, approprié et proportionné de la mesure sanctionnant des propos tenus par un salarié.